Penser la traduction en termes politiques. Dialogue entre Tiphaine Samoyault et Christiane Fioupou
Penser la traduction en termes politiques afin de rendre visible la violence largement occultée que celle-ci peut induire. C'est le propos du livre Traduction et violence, paru au Seuil en 2020. Rencontre avec son auteur, Tiphaine Samoyault, en dialogue avec Christiane Fioupou.
Rencontre - Un livre, des collections
Avec Traduction et violence, Tiphaine Samoyault propose de penser la traduction en termes politiques afin de rendre visible la violence largement occultée que celle-ci peut induire. Car l'acte de traduire n'est pas neutre, en particulier dans les contextes dénués de bienveillance ou d'altruisme, celui-ci s'accompagnant souvent d'une part de déformation ou d’appropriation et occasionnant déception et blessures. La traduction est même, nous dit l'auteure, un des instruments décisifs de toutes les entreprises coloniales : « Traduire l’autre, c’est souvent le dominer en l’amenant de force vers soi, vers ses ordres sociaux, culturels et idéologiques. » (entretien avec Frédérique Roussel, Libération, 1er avril 2020).
Et loin d'envisager le futur plus équitable que nous vend la traduction assistée par ordinateur (TAO), Tiphaine Samoyault voit plutôt dans ce nouvel outil algorithmique le danger d'une accentuation de la hiérarchie entre les langues dominantes et les langues dominées, et à terme, la disparition de ces dernières. La TAO induit également l'idée fallacieuse d'une transparence des langues impliquant leur équivalence et n'exigeant plus d'aller vers l'autre, de faire avec ses différences et d'enrichir la langue de la traduction.
La chercheuse Anne Madelain ne dit pas autre chose quand elle évoque la question cruciale de la traduction des sciences sociales : « La globalisation a imposé la fausse évidence de la transparence des langues. Traduire les sciences humaines dans une autre langue, ce n'est pas simplement transposer des idées. Tous les chercheurs qui travaillent sur ces questions le savent. Et je sais combien à la BULAC on a la conscience aiguë de l'importance de l'existence de cette diversité de langues. Il est désormais important de rappeler l'existence d'une richesse littéraire mais aussi d'une richesse de pensée "entre les langues". Et seuls les échanges et la traduction peuvent la donner à voir. L'idée de l'usage d'une langue commune transparente est une illusion qui commence à s'imposer. » (La BULAC vue par Anne Madelain).
Pour Tiphaine Samoyault, le discours positif sur la traduction, en tant que lieu de compréhension et de respect de l'autre, n'est pas faux. Mais il ne peut pas occulter le fait que la traduction est le lieu de l'imperfection et du conflit, à commencer pour le traducteur.
Traduction et violence
Échos de la parution de Traduction et violence :
« Tiphaine Samoyault. L’Agonistique du traduire », Entretien avec Marielle Macé et Philippe Roger, in Critique n° 886 : La traduction, art de l’intranquillité (Éditions de Minuit, mars 2021)
« Les entretiens de Po&sie : Traduire la Poésie » (Maison de la Poésie, 13 octobre 2021)
« La traduction est la continuation de la politique par d’autres moyens » – à propos de Traduction et violence de Tiphaine Samoyault, Marc Porée (revue AOC, juillet 2020)
« Traduction et Violence, de Tiphaine Samoyault : l’âpreté de traduire », Jean-Louis Jeannelle (Le Monde des livres, 11 juin 2020)
« Redonner à la traduction son potentiel de négativité active » (Traduction et violence), Christine Marcandier (Diacritik, 13 mai 2020).
« Tiphaine Samoyault, Traduction et violence », Lectures [En ligne], Valère Zysman-Singer (OpenEdition Journals, 14 décembre 2020)
Controverse Amanda Gorman :
« La traduction des poèmes d’Amanda Gorman est au cœur de conflits idéologiques », Tiphaine Samoyault (« La Nuit de la traduction », épisode 1, France Culture, 3 octobre 2021)
Faut-il se ressembler pour traduire ?, ouvrage collectif, contribution de Tiphaine Samoyault (éditions Double ponctuation, 2022)
Nos intervenants
- Romancière, critique littéraire et traductrice : entre autres, Ulysse de James Joyce, nouvelle traduction collective, coordonnée par Jacques Aubert (Gallimard, 2015), et Ta'ayushn : journal d'un combat pour la paix : Israël Palestine, 2002-2005, essai de David Shulman et Charles Malamoud (Le Seuil, 2006).
- Professeur en littérature comparée à l'université Sorbonne Nouvelle.
- Conseillère éditoriale aux éditions du Seuil ; membre de la direction éditoriale et collaboratrice de la revue littéraire en ligne, En attendant Nadeau.
- Wikipédia ; theses.fr ; Cairn.
- Du même auteur ; dans le catalogue de la BULAC.
- Traductrice de théâtre et de poésie, notamment d’auteurs nigérians : Wole Soyinka (prix Nobel de littérature en 1986), Niyi Osundare et Christopher Okigbo.
- A enseigné 12 ans à l’université de Ouagadougou.
- Professeur émérite en littératures anglophones à l’université Toulouse-Jean Jaurès.
- Grand entretien : « Christiane Fioupou et l'éloge de la sérendipité », par Fanny Robles, E-rea [En ligne], 14 décembre 2021 -> « Africa 2020: Artistic, Digital, and Political Creation in English-Speaking African Countries ».
- Canal U ; theses.fr ; Cairn.
- Christiane Fioupou dans la catalogue de la BULAC : ouvrages imprimés - En ligne : « Everyman’s Reincarnations: Of Men, Monkeys, and Moralities », Christiane Fioupou (Caliban 29, 2011).